Les progrès de la science en matière d’ingénierie génétique suscitent des espoirs légitimes. La production alimentaire devra bientôt répondre au défi démographique, en particulier celui de l’Afrique – qui devrait compter, selon un rapport de l’Unicef, 4,2 milliards d’habitants en 2100 avec le taux de natalité actuel ! Afin d’économiser les ressources de la planète, notamment hydriques, et de limiter l’usage des pesticides, nombreux sont ceux, notamment au sein de la communauté scientifique et des décideurs publics, qui voient dans les OGM une solution inéluctable. Les divergences de vues entre les experts et l’opinion publique sont, là aussi, frappantes. Il n’existe pas d’enquête de grande ampleur en France, mais aux États-Unis – certes bien plus directement confrontés que la France à la question – les chiffres sont sans appel : selon une étude du Pew Research Center, en 2015, 88% des scientifiques interrogés estimaient les OGM sûrs d’emploi… contre seulement 37% des Américains adultes.
Vue sous cet angle, la question se résumerait donc à un simple problème de pédagogie – le débat scientifique autour de la pertinence de la consommation et de la production d’OGM alimentaires semblant définitivement clos par ce consensus écrasant. Je prends pourtant la responsabilité de rester très prudent sur l’emploi et la commercialisation des OGM en France et dans le monde. L’économiste libano-américain N.N. Taleb et Raphael Douady, chercheur au CNRS, ont établi de manière convaincante que le principe de précaution – même si, dans d’autres domaines, il est invoqué de manière abusive et sclérosante pour l’innovation – doit s’appliquer aux OGM. Deux facteurs m’invitent à la prudence :
• Des connaissances encore lacunaires en matière génétique. Chaque jour apporte son lot de découvertes dont nous ignorons encore les conséquences à venir. Si le séquençage ADN de nombreuses espèces végétales et animales est aujourd’hui très détaillé, les conséquences des interactions entre les gènes comportent encore des zones d’ombre importantes, et l’approche top-down de l’ingénierie génétique ne me semble pas à même de les éclaircir à l’heure actuelle.
• Par voie de conséquence, l’emploi à grande échelle d’OGM comporte potentiellement des risques systémiques qui invalident le calcul classique coûts/bénéfices appliqué dans n’importe quel autre domaine scientifique et technologique. Les OGM ayant tendance à être beaucoup plus robustes que les espèces végétales et animales éprouvées par l’évolution darwinienne et son processus de sélection naturelle, elles sont invasives. Comment évaluer l’ampleur de la catastrophe potentiellement planétaire s’il s’avérait qu’un certain nombre de ces espèces ne résiste pas, sur le long terme, à un environnement donné, ou si elles se révélaient finalement toxiques pour la santé ?
Aucune recherche n’est évidemment à exclure, mais toutes doivent se faire dans un cadre strictement contrôlé qui empêche toute propagation.